Le
télégraphe de Chappe
Jusqu'à
la Révolution, l'information
circulait au pas des chevaux.
En 1793 Claude
Chappe (1763-1805)
inventa un ingénieux système aérien de communication.
C'était un télégraphe aérien utilisant
une tour surmontée d'un mât mobile avec deux bras.
En premier lieu, le nom était : tachygraphe (en grec takhus
: rapide et graphein : écrire).
Le Comte Miot De Mélito inventa le terme télégraphe
qui fut privilégié en 1793 (en grec, tele : loin)
.
A cette époque, la France en conflit avec presque tous les
royaumes absolus, cherche un moyen plus fiable pour communiquer avec
les armées aux frontières. Le télégraphe
est une étape décisive dans la transmission rapide des
informations sur de longues distances.
Le procédé était révolutionnaire à
l'époque : une diligence portait un message de Paris à
Strasbourg en 4 jours alors que ce message était transmis en
moins de 2 heures avec le télégraphe de Chappe.
La première dépêche annonce au gouvernement la
prise de Condé par l'armée révolutionnaire :
"Condé restitué
à la République, reddition a eu lieu ce matin à
six heures".
Le
mât noir du télégraphe
était visible avec des lunettes spéciales d'une
tour à l'autre, par beau temps, à une distance
d'environ 12 km.
Ainsi
un petit message partant de Paris dans de bonnes conditions
météorologiques était transmis à
Lille au bout d'une dizaine de minutes.
Un message de 36 signaux pouvait prendre une trentaine de
minutes, transmission très rapide pour l'époque.
Une dépêche télégraphique allant
à 150 km/h était à l'époque d'un
gros avantage.
Au fil des ans la vitesse de transmission s'améliora
pour presque doubler et se stabiliser vers 1849... mais le
télégraphe électrique se profilait déjà
à l'horizon.
La vitesse maximale observée étant de 1376 km/h
(Cf Télégraphe de Saint-Marcan
de Alfred Jamaux).
Il était par contre difficile de communiquer par temps
de pluie ou de brouillard et la nuit.
Ce télégraphe a fonctionné
de façon plus efficace en Algérie... Devinez
pourquoi ?
Ci-contre
le télégraphe du Trou d'Enfer à l'époque
de son fonctionnement en 1842 puis rénové en
2008. Cette station se
visite aujourd'hui.
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Vidéo
de Saint-Marcan : cliquer ICI
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Ci-contre
le télégraphe de Saint-Marcan, restauré
à l'identique et en état de fonctionnement.
Il est situé entre le Mont-Dol et le Mont Saint-Michel.
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Les transmissions s'étant révélées utiles
et rapides, le réseau s'est étendu sur toute la France.
Voici
la carte du télégraphe de Chappe 1793-1850
Le
code secret connu seulement par quelques responsables : les directeurs,
utilise des signaux indiqués par paires.
Le sens peut être un mot, une phrase, un ordre du langage
des militaires ou de celui des diplomates, principaux utilisateurs
du système.
Notons
que sur la proposition de Claude Chappe, la Loterie de France
transmettait les résultats par télégraphe,
moyennant une redevance (il y a eu des fraudes...).
Cette recette a permis de terminer la construction des lignes puis
de financer de nouvelles lignes.
Remarque la Loterie de France a été
créée par le Directoire (1795-1799) pour remplir les
caisses vides de l'Etat. Elle fut supprimée au début
du XIXe siècle et rétablie sous le nom de Loterie
nationale en 1933.
Des hommes disciplinés, les stationnaires, sont répartis
dans les relais et assurent la répétition des signaux
de proche en proche dans le territoire.
Les signaux de service étaient compris par les stationnaires
: ils indiquaient par exemple le début et la fin d'un message
ou signalaient que la transmission était bloquée par
le mauvais temps.
Par
contre, les signaux de correspondance étaient codés
afin d'en préserver le secret.
Ces signaux étaient traduits à leur arrivée
à l'aide du Vocabulaire de Chappe.
Chaque
mot ou expression est codé par deux nombres représentant
le n° de la page puis la ligne où l'on trouve la signification
du signal dans le Livre des codes secrets.
Ainsi page 14, ligne 75 on trouve le mot : banqueroute
;
-page
14 ligne 58 on trouve l'expression : prendre toutes
les précautions ;
-page 31 ligne 56 on trouve : aristocratie
ou aristocratique ou aristocratiquement.
Dispositions
possibles du régulateur et des indicateurs
Trois
barres constituent le mât :
deux indicateurs mesurant par
exemple chacun 2 m de longueur et
la barre centrale dite régulateur
mesurant environ 4,60 m de longueur.
Pour former un signal de dépêche, le régulateur
prend deux positions : horizontale
ou verticale.
Chacun des deux indicateurs peut prendre sept
positions, les voici dans le cas où le régulateur
est vertical :
Les indicateurs peuvent occuper 8 positions
par rotation de 45° mais celle où l’indicateur
est dans le prolongement du régulateur n’est
pas utilisée pour des raisons techniques
(Cf 'LE MAGASIN PITTORESQUE' rédigé
sous la direction de M. Edouard Charton 1846, page 351 :
cliquer ICI ou l'image ci-contre pour voir le texte).
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Voici les sept positions :
avec régulateur horizontal :
OU avec régulateur vertical : .
Nous avons les mêmes cas pour l'autre indicateur du mât
et pour chaque position du régulateur : vertical ou horizontal.
Finalement dans ce langage télégraphique, nous obtenons
2 x 7 x 7 positions possibles soit 98.
Cependant seuls 92 signaux sont utilisés
pour la composition des dépêches dont la signification
est inconnue des opérateurs.
Comme ces signaux sont utilisés deux par deux, nous obtenons
92 x 92 soit 8464 expressions (d'un
ou plusierus mots) possibles.
Six
signaux dits réglementaires sont utilisés pour le
service et sont les seuls connus des stationnaires :
.
Ces six signaux sont
utilisés seuls (et
non avec un autre pour former une paire) pour
- indiquer la fin d'un message ;
- signaler une erreur de transmission ;
- "suspension de brumaire" ( sans doute brouillard
) ;
- "suspension d'absence" ( sans doute reprise du
travail ) ;
-
la position de repos ou inertie : position verticale, indicateurs
repliés ;
- indiquer l'envoi d'un nouveau message
: position horizontale,
indicateurs repliés.
Les signaux sont observés à
distance avec des lunettes grossissant entre trente et quarante
cinq fois selon les besoins.
Les stationnaires recomposent le message pour l'envoyer ensuite
au poste suivant.
Les postes sont en général distants d'une douzaine
de kilomètres.
En général, il y a deux stationnaires par poste
:
à tour de rôle, l'un
manipule le télégraphe et
l'autre observe dans la lunette la station précédente
ou la station suivante.
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Cliquer
l'image pour l'agrandir |
Comment
manœuvrer le télégraphe de Chappe
L'envoi d'un message s'effectue en plusieurs étapes :
Juste
avant l'envoi
du message, la position verticale signifie repos ou inertie (par exemple,
la nuit ou par brouillard).
Pour la création du signal :
.le régulateur est mis à l'oblique (prêt pour
former un signal : gauche pour signal de service, droite pour signal
de correspondance) ;
le positionnement des indicateurs sur le régulateur est toujours
fait quand ce dernier est oblique ;
.le régulateur est mis en position verticale ou horizontale
: il est ainsi "porté au FINI".
Le repliement des indicateurs s'effectue lors de la mise à
l'oblique du régulateur.
CLIQUER
En
cas de difficulté, voici la version
zippée de la vidéo .mp4 de ce fichier , mais non interactive
: ICI.
ANIMATION
décodage et codage des signaux de correspondance
Dans l'animation ci-dessous, j'ai répertorié l'essentiel
des codes obtenus grâce à un Vocabulaire
découvert à Rennes, l’original se
trouve au Musée des Transmissions ou Espace Ferrié (Ministère
de la Défense) à Cesson-Sévigné.
Merci à Madame Caniart de nous avoir avec B. Langellier, permis
d'utiliser ce document dans un but pédagogique.
J'ai retranscrit les codes correspondant à 92 pages de 92 lignes.
En réalité ce vocabulaire
donne 99 pages de 99 lignes.
Je n'ai pas pu coder les signes de 92 à 99 puisque je n'ai
pas trouvé leur représentation en signal.
Notons que le vocabulaire de Chappe a évolué
au cours de ses années d'utilisation.
Après bien des recherches, Monsieur Ollivier, éminent
spécialiste de la télégraphie Chappe indique
que ce vocabulaire est un vocabulaire spécial datant d’un
peu après 1860 et destiné à transmettre électriquement
des messages secrets pour certaines autorités officielles.
Ce n'est pas à proprement parler un Vocabulaire de Chappe.
Toutefois,
le principe du fonctionnement reste identique avec ce vocabulaire.
Si quelqu'un découvre dans son grenier
;) un vrai Vocabulaire Chappe de 92 pages... il fera des heureux !
Après de multiples recherches auprès du Musée
de la Poste il semble qu'il n'y ait plus aucun exemplaire du Vocabulaire
de Chappe.
Les derniers exemplaires connus ont été malheureusement
volés à Brûlon pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Volés et non pas détruits, il subsiste donc un petit
espoir d'en retrouver un jour un exemplaire en France ou à
l'étranger.
Dans
l'animation
On peut entrer les nombres de 1 à 92 par couples. Alors s'affichent
le signal et sa signification.
On obtient la liste des termes utilisés dans l'encadré
du bas de l'animation que l'on peut faire défiler.
On peut effectuer une recherche sur une expression ou une partie d'expression...
Les nombres sont séparés par des blancs.
Les expressions ne doivent pas comporter de blanc inutile et elles
sont séparées par des points virgules.
Un bouton permet de voir tous les signaux et un clic sur les boutons
désirés permet d'obtenir le code correspondant.
En cliquant plusieurs signaux par paires, il est possible de composer
un message de l'époque de la Révolution avec des moyens
actuels ;)
Exemple fictif de message écrit à
Paris (station 1) :
«Un braconnier condamné à la prison en avril».
Texte à entrer dans l'animation au-dessus du bouton VALIDER
: «un;braconnier;condamné;à la;prison;en;avril»
Ci-dessous, le message «Urgent;Napoléon;est;de;retour;en;France»
évoque le retour de l'île d'Elbe de Napoléon lors
de son débarquement en France le 1er mars 1815.
La ligne Toulon Lyon n'était pas encore en fonctionnement :
elle ne l'a été qu'en 1821. Ainsi LouisXVII n'a été
averti du retour de Napoléon que quatre jours plus tard (à
la vitesse du cheval entre la côte et Lyon) alors que si le
télégraphe de Chappe de la ligne Toulon-Lyon avait été
en activité, il aurait été averti en quelques
heures.
CLIQUER
En
cas de difficulté, voici la version
zippée de la vidéo .mp4 de ce fichier , mais non interactive
: ICI.
TRANSMISSIONS
entre postes
Dans
l'animation
Les flèches simples permettent d'avancer ou de reculer
étape par étape.
La double flèche fait avancer l'animation automatiquement.
Chaque stationnaire A ne peut envoyer un nouveau signal que lorsque
son suivant B a bien réceptionné celui envoyé
par A.
Dans
la littérature
Notons que les virus ne sont pas une spécialité actuelle...
L'un d'entre eux est évoqué dans le 'Comte de Monte-Cristo'
d'Alexandre Dumas (1846).
Il s'agit des chapitres 60 et 61 : le Comte de Monte-Cristo corrompt
l'employé d'une des tours qui composent la ligne de Paris
à l'Espagne et lui fait exécuter d'autres signes que
ceux de la dépêche envoyée depuis l'Espagne
; il en résulte à Paris une brève panique boursière
où son ennemi Danglars perd une forte somme. Ce passage est
pour Dumas l'occasion de décrire le fonctionnement d'une
ligne du télégraphe de Chappe.
Certains spéculateurs n'hésitaient pas à corrompre
les stationnaires pour envoyer de fausses informations sur les cotations
de la Bourse à Paris.
On envoyait certaines informations, à un endroit convenu
dans le message, à un autre stationnaire complice.
Les gains obtenus par les spéculateurs initiés permettaient
de rendre dociles et silencieux les stationnaires corrompus.
Un vif scandale se déclencha lorsqu'on découvrit la
supercherie qui marchait trop bien !
Victor Hugo
La première apparition du télégraphe dans la
littérature date de 1819 avec Victor Hugo. Il a 17 ans et
le poème s'intitule
"Le télégraphe"
:
"Ce maudit télégraphe va-t-il cesser
.D'importuner
mes yeux qu'il commence à lasser ?
Là, devant ma lucarne ! Il est bien ridicule
Qu'on place un télégraphe auprès de ma cellule
!
Il s'élève, il s'abaisse... et mon esprit distrait
dans ces vains mouvements cherche quelque secret..."
Le télégraphe,
1819, in "œuvres complètes, Poésies ",
(Ed. Robert Laffont, 1985)
Le télégraphe ainsi évoqué est celui
de Saint-Sulpice, dont il trouvait le style architectural détestable
et qu'il voyait de sa chambre, "ma cellule" qu'il habita
pendant trois ans.
Pour lui le télégraphe est le vecteur de mauvaises
nouvelles, de faux espoirs, le messager innocent qu'on aimerait
ne pas voir et qui n'apporte que "mensonges", "agitation",
"terreur" même :
"Télégraphe
! ô quel coup pour mon cœur
affligé !
Hélas ! Le lendemain ton langage est changé.
'Le trône est sans appui ; la charte électorale
Répand dans vingt cités le trouble et le scandale...
Poursuis, cher télégraphe, agite tes grands bras ;
Semblable à ce baron, fameux pour son fatras,
Qui grattant son cerveau, l'œil
en pleurs, le teint blême,
Annonce un grand secret, qu'il ne sait pas lui-même."
Le
télégraphe, 1819, in "œuvres complètes,
Poésies ",
(Ed.
Robert Laffont, 1985)
En juin 1836,alors
qu'il voyage avec J.Drouet près du Mont Saint-Michel Hugo
a appris (grâce au télégraphe) l'attentat d'Allibaud
contre Louis-Philippe. Hugo l'apprend alors qu'il voyage en Normandie
et en Bretagne en compagnie de J. Drouet.
Sa visite au Mont Saint-Michel lui laisse un souvenir détestable
:
"A
l'extérieur, le Mont Saint-Michel apparaît... comme
une chose sublime, une pyramide merveilleuse...
Pour couronner le tout, au faîte de la pyramide, à
la place où resplendissait la statue colossale dorée
de l'archange, on voit se tourmenter quatre bâtons noirs.
C'est le télégraphe.
Là où s'était posée une pensée
du ciel, le misérable tortillement des affaires de ce monde
! C'est triste."
Voyages en France et en Belgique,
1834-1837.
Deux ans plus
tard, il voyage encore accompagné de Juliette en direction
de l'est.
Il rencontre à plusieurs reprises le télégraphe.
"A
deux lieues de Châlons, sur la route de Sainte-Menehould dans
un endroit où il n'y a que des plaines, des chaumes à
perte de vue et des arbres..., une chose magique vous apparaît
tout à coup. C'est l'abbaye de Notre-Dame-de-l'Epine. Il
y a là une vraie flèche du quinzième siècle,
ouvrée comme une dentelle et admirable, quoique accostée
d'un télégraphe, qu'elle regarde, il est vrai, fort
dédaigneusement, en grande dame qu'elle est."
Le
Rhin, 1842, in 'Œuvres complètes de Victor Hugo', Ed
Ollendorf, 1906.
Dans
cet ouvrage Voyage
sur le Rhin, il
évoque
le code Chappe.
Notons toutefois que le dessin des signaux n'est pas toujours orienté
de la même façon dans les différents textes
retranscrits.
François
René de Chateaubriand s'y est surtout intéressé
en tant qu'usager en raison de ses fonctions après la chute
de l'Empire.
Ambassadeur à Berlin (1821), à Londres (1822), et Rome
(1828), il a un avantage sur ses collègues, le télégraphe
lui permet d'être informé avant tout le monde :
"Si la chose en vaut la peine, j'enverrai
un courrier extraordinaire ;... Vous pourrez être instruit
par le télégraphe vingt-quatre heures avant le reste
de l'Europe et expédier, si vous le voulez, un courrier pour
Vienne..." extrait des Correspondances.
Stendhal a entrevu avec beaucoup de clarté
le rôle que les moyens de télécommunication seront
amenés à jouer, au service du pouvoir notamment. Voir
le roman non achevé, rédigé entre 1830 et 1840
qui relate l'histoire d'un lieutenant : 'Lucien leuwen'.
Le télégraphe y est un moyen de pression par le biais
de la rapidité de l'information.
Flaubert en 1847 évoque la vie d'un
stationnaire dans 'Voyage en Bretagne par les champs et
par les grèves' :
"Quelle drôle de vie que celle
de l'homme qui reste là dans cette petite cabane à faire
mouvoir ces deux perches et à tirer sur ces ficelles, rouage
inintelligent d'une machine muette pour lui !
Il peut mourir sans connaître un seul des événements
qu'il a appris, un seul mot de tous ceux qu'il aura dits.
Le
but ? le sens ? qui les sait ?".
Élie
Berthet, dans 'La tour du télégraphe'
(1869), en fait un roman complet : un jeune homme confiné dans
une station télégraphique à la campagne sur la
linge Paris-Bordeaux, découvre un abus du télégraphe
pour un délit d'initié par des spéculants à
la Bourse.
Dans
'Romain Kalbris' de Hector Malot
(1869) une jeune fille nommée Dielette décrit sa maison
à Paris :
" ...du seuil de la porte, on voyait
en face, contre une haute église, un beau cadran doré
; au-dessus, il y avait une petite tour et sur cette tour des grands
bras noirs qui, toute la journée, se remuaient de côté
et d’autre. Quand j’ai, l’année dernière,
parlé de ça à un paillasse de la troupe de
Masson, qui venait de Paris, il m’a dit que cette église
était l’église Saint-Eustache, et que ces grands
bras noirs étaient un télégraphe.".
Autres
documents
.Le
télégraphe de Chappe,
modèle dit 'Flocon'.
|
.La
station du télégraphe du Mont-Dol : c'est
maintenant une chapelle.
.Le télégraphe ambulant :
|
.Description
de l'appareil (système dit de "Milan").
|
.Les
différentes manœuvres du télégraphe
entre le
Mont Saint-Michel, Saint-Marcan et le Mont-Dol.
|
Communication moderne évoquant
Chappe...
Le
FORT du télégraphe
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